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Débuter avec les thés vivants

Le mythe de 神農shén nóng (Shénnóng) et l’archéologie

L’Empereur Shennong 神農 testant des plantes
L’Empereur Shennong 神農shén nóng testant des plantes

La légende attribue la découverte du thé à l’Empereur Shennong 神農shén nóng, figure emblématique de la Chine ancienne. Selon le 神農本草經shén nóng běn cǎo jīng, un texte médical chinois datant de la dynastie Han hàn (206 EC.–220 av. EC.), Shennong aurait expérimenté des centaines d’herbes médicinales, dont le thé, qui lui sauva la vie après avoir ingéré 72 poisons : «神農嘗百草,一日遇七十二毒,得茶而解之shén nóng cháng bǎi cǎo , yí rì yù qī shí èr dú , dé chá ér jiě zhī». Ce récit symbolise l’harmonie entre l’humain et la nature, centrale dans la pensée taoïste.

La science confirme cette ancienneté : en 2016, des chercheurs de l’Université de Pékin et de l’Académie chinoise des sciences ont identifié des résidus de thé dans des récipients excavés de la tombe de l’empereur Han Jing Di 漢景帝hàn jǐng dì (188–141 av. EC.), située dans la province du Shanxi 陝西shǎn xī. Le thé était déjà valorisé comme boisson rituelle, offerte aux défunts pour leur voyage dans l’au-delà.


Camellia sinensis : Un héritage végétal

Le thé provient exclusivement du Camellia sinensis 茶樹chá shù, dont les variétés sinensis 小葉種xiǎo yè zhǒng, (feuilles fines, adaptée aux climats tempérés) et assamica 大葉種dà yè zhǒng (feuilles larges, originaire du sud-est asiatique) sont cultivées depuis des millénaires. Les botanistes chinois du classique de médecine chinoise 本草綱目běn cǎo gāng mù (XVIᵉ s.) notent déjà que ces deux variétés, combinées à des techniques diverses, donnent naissance aux six grandes familles de thé.

En Chine, le Yunnan 雲南yún nán est considéré comme le berceau du thé, avec des théiers sauvages géants âgés de plusieurs siècles. À Taïwan 臺灣tái wān, les montagnes d’Alishan 阿里山ā lǐ shān et de Lugu 鹿谷lù gǔ produisent des wulongs 烏龍wū lóng renommés, comme le Dongding 凍頂烏龍dòng dǐng wū lóng, grâce à un climat humide et des sols volcaniques riches. La Station de recherche sur le thé de Taïwan : 臺灣茶業改良場tái wān chá yè gǎi liáng chǎng souligne que ces terroirs uniques influencent directement les arômes floraux et minéraux des infusions.


Les sept familles du thé : Classifications modernes

La taxonomie traditionnelle chinoise distingue six catégories, basées sur le niveau de brunissement enzymatique 酶促氧化作用méi cù yǎng huà zuò yòng et de maturation microbienne 微生物熟成wēi shēng wù shú chéng. Cependant, une approche moderne place les Pu'er crus 生普洱茶shēng pǔ ěr chá dans une famille à part, en raison de son processus unique de maturation microbienne naturelle.

  1. 綠茶lǜ chá : Thés verts, non oxydés, comme le Longjing 龍井lóng jǐng du Zhejiang 浙江zhè jiāng, célébré depuis la dynastie Tang táng.
  2. 白茶bái chá : Thés blancs, légèrement oxydés, tels que le Baihao Yinzhen 白毫銀針bái háo yín zhēn originaires du Fujian 福建fú jiàn.
  3. 黃茶huáng chá : Thés jaunes, moins représentés, avec un procédé de jaunissement à l'étouffé 悶黃mèn huáng décrit dans le classique de thé 茶經chá jīng de Luyu 陸羽lù yǔ (VIIIᵉ s.).
  4. 青茶qīng chá/烏龍茶wū lóng chá : Thés Wulong ou bleus-verts, semi-oxydés, le Dongding 凍頂烏龍dòng dǐng wū lóng de Taïwan.
  5. 紅茶hóng chá : Thés rouges entièrement oxydés, popularisés à la fin de la dynastie Qing qīng, comme le Dianhong 滇紅diān hóng du Yunnan 雲南yún nán.
  6. 黑茶hēi chá : Thés noirs fermentés, tels que le Pu'er cuit 熟普洱茶shú pǔ ěr chá ou le Liubao 六堡茶liù bǎo chá de Guanxi 廣西guǎng xī.
  7. 生普洱茶shēng pǔ ěr chá : Thés Pu'er crus du Yunnan 雲南yún nán bénéficiant d’une maturation microbienne naturelle.

Artisanat et terroir : Des gestes transmis

La cueillette manuelle est cruciale : seuls les bourgeons et les premières feuilles sont sélectionnés, souvent tôt le matin pour préserver l’humidité. À Wuyi 武夷wǔ yí, au Fujian 福建fú jiàn et à Taïwan 臺灣tái wān, les maîtres théiers perpétuent des techniques millénaires : flétrissage 萎凋wěi diāo, fixation 殺青shā qīng, roulage 揉捻róu niǎn, et séchage 乾燥qián zào, détaillées dans le traité de thé 大觀茶論dà guān chá lùn de l’empereur et artiste Song Huizong 宋徽宗sòng huī zōng (XIIᵉ s.).

La cueillette du bourgeon et de quelques feuilles
La cueillette du bourgeon et de quelques feuilles

L’eau, élément fondamental

Un proverbe dit : «水為茶之母shuǐ wéi chá zhī mǔ» (L’eau est la mère du thé). Luyu 陸羽lù yǔ, dans le classique du thé 茶經chá jīng, écrit que l’eau de source des montagnes est la meilleure, suivie de l’eau de rivière, puis celle des puits. Une eau douce, légèrement minéralisée, accompagne les arômes subtils des feuilles.

La température varie autour de 85°C à 100 °C selon le type de thé. Une eau trop chloré ou trop calcaire altère le goût. À Taïwan 臺灣tái wān comme dans le Couserans, les sources de montagne offrent une qualité idéale pour porter les thés.


L’infusion et l’art du GongFuCha 工夫茶gōng fū chá

Le 工夫茶gōng fū chá désigne l'art de gérer dans l’infusion. On utilise une petite théière Yixing Zisha 宜興紫砂yí xīng zǐ shā. Les infusions sont multiples, courtes (10–30 secondes), et évolutives. La première sert souvent à « réveiller » les feuilles.

Chaque thé demande un grammage, une eau et un ustensile adaptés. Le thé vert préfère la légèreté, les thés sombres réclament plus de profondeur. Dans l’infusion, tout est question d’équilibre et de présence.


Une culture vivante

De Shennong 神農shén nóng aux artisans d’aujourd’hui, la culture chinoise du thé incarne une philosophie d’équilibre. Les recherches archéologiques, les traités classiques et les pratiques artisanales témoignent d’un héritage partagé. Comme le dit un proverbe taïwanais : 「一壺好茶,半世清閒yì hú hǎo chá , bàn shì qīng xián」 (Une bonne théière vaut une vie de sérénité).